Sois gamer et tais-toi !

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C’est incontestable, le média jeu vidéo devient de plus en plus répandu. On le doit surtout à l’expansion du marché du casual gaming, phénomène sur lequel je ne reviendrai pas en détails tant il est évident de nos jours. On en parle même positivement aux JT, pour vous dire le progrès. Pourtant, plus je vieillis moins j’ai l’occasion de discuter et partager ma passion, alors que paradoxalement mon entourage s’étend.

Lorsque j’étais gosse, les jeux vidéo étaient aussi bien mon fantasme que celui de mes camarades de classe. Je me vois encore arriver le matin pour raconter les exploits de la veille sur ma bonne vieille console. Je me souviens aussi des parties à la cour de récré avec nos (grosses) portables. Les jeux vidéo étaient le point central de notre attention et ça intéressait tout le monde (à part les filles car à l’époque le cliché était bien réel). Jouer, c’était cool.

A l’adolescence, j’avais mon groupe de potes bien geek comme moi et nous aimions discuter du dernier gros jeu à la mode, échanger des conseils, parler de nos expériences, ou bien sûr délirer sur les futurs jeux à venir qu’on regardait avec envie dans les magazines qu’achetait ensembles. Mais ces échanges étaient devenus limités à notre groupe, car la majorité des autres ados était plus occupé à se soucier de son look, de musiques douteuses à la mode ou d’histoires de cul imaginaires. Jouer, c’était beaucoup moins cool mais on s’en foutait bien car on était entre nous.

Depuis que je suis un jeune adulte, la donne a malheureusement changé : être gamer, c’est la honte. Les anciens de mon groupe ont pour la plupart plus ou moins arrêté de jouer pour leurs études ou pour d’autres passions assez obscures comme être sportif ou être DJ. Les restants sont devenus ultra casual, jouant à un jeu par an et sans le finir. Alors que ma passion du jeu vidéo a encore décuplé, celle autour de moi a quasiment disparu. Parfois je rediscute avec mes anciens camarades et ils me demandent avec amusement : « Et toi, tu joues toujours ? » comme pour dire « T’as pas grandis ou quoi ? ». Il va sans dire que nous n’avons plus aucun contact car nous n’avons plus rien en commun.

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Et pourtant j’ai côtoyé de nombreux jeunes durant mes études supérieures mais je n’ai rencontré aucun gamer. Aucun. Au meilleur des cas, un ex-gamer comme je le disais plus haut, mais impossible de discuter avec eux de ce sujet plus de 2 minutes 30. Non, il était bien plus « in » de discuter de beuveries collective, de défonçage de tympans en boîte, de drague de kékés, et parfois un petit sujet d’actualité insolite mais inintéressant en soit.
La situation ne s’est pas arrangée depuis que j’ai commencé à bosser. J’ai rencontré une bonne cinquantaine de nouvelles têtes. Ca fait bientôt 2 ans que je les connais et j’ai dû évoquer au maximum 2 fois le fait que je jouais « un peu, parfois, pour me détendre », car bien sûr je ne peux pas avouer que je suis un hardcore gamer qui suit l’actu vidéoludique attentivement, qui est au courant de tout, qui joue à un maximum de chose et qui joue avec des inconnus sur le web. Avouer ça serait un suicide social qui me ferait passer pour un dérangé ou un type pitoyable et me vaudrait des moqueries désagréables. Il suffit de voir comme je me prends déjà des petites piques rien qu’en ayant avoué ça à demi-mots, je n’exagère rien…

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A ce stade, seuls mes deux véritables amis sont encore joueurs. L’un d’eux a complètement abandonné les jeux solos car il les juge désormais sans intérêt. Il est devenu extrêmement exigeant et juge le média comme de plus en plus désuet. Il ne joue plus qu’occasionnellement à des jeux online très typiques, mais je mets ma main à couper que d’ici quelques années il aura laissé tomber pour se consacrer corps et âmes à son travail vu comme c’est parti.
L’autre s’accroche encore un peu à quelques jeux mais n’en termine plus aucun car il consacre plus de la moitié de son temps à des activités purement sociales, c’est désormais sa priorité. Il n’y peut rien, moi-même je suis obligé de m’y plier pour ne pas être un paria aux yeux des Bien-Pensants, vous savez bien, ceux qui sont politiquement corrects et qui détiennent La Vérité sur le monde et qui s’octroient le droit de juger sans procès. Bref, si l’ami en question joue encore de temps en temps avec moi online, surtout pour rire et balancer des vannes, il est devenu impossible de lui parler des jeux solos formidables que je fais, ou quand j’essaie ça ne l’intéresse pas. Une grosse partie de sa passion d’autrefois est morte.

 

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Aujourd’hui, malgré mon temps de jeu considérablement réduit par les obligations de la vie en société, ma passion pour les jeux vidéo est la même que quand j’étais gosse. Amplifiée d’ailleurs maintenant que je n’ai plus aucune limite d’acquisition. Mais malgré toutes les aventures fabuleuses que je vis au travers de ce média, je ne peux partager ça avec personne. Et quand on voit l’agressivité des opinions sur les forums des sites spécialisés, ça ne donne vraiment pas envie d’entamer des débats virtuels où on sait qu’on se frottera à des aigris prêts à tout pour vous démonter.

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Mon rêve aurait été de pouvoir rejoindre une rédaction de presse spécialisée et partager véritablement mes découvertes. J’ai souhaité ça plus que tout, j’étais prêt à faire d’énormes concessions. Comme beaucoup, j’ai envoyé mes candidatures à à peu près toutes les rédactions, sans réponse de leur part bien sûr. Me voilà donc dans un job quelconque et ennuyant, entouré de gens quelconques et tout aussi ennuyants qui préfèrent discuter de leur plat de la veille ou d’une émission télé-réalité à la mode. Condamné à cacher ma véritable passion quitte à ne jamais parler de ce que j’ai moi-même fais la veille : me plonger dans un Skyrim ou une grosse partie de Battlefield 3.
On parle de millions de ventes de jeux, on parle de 52% de joueuses, on parle de consoles vendues par paquebots, on parle de 3/4 d’utilisateurs joueurs sur smartphones, on parle de millions de joueurs de Call of Duty, on parle de millions d’abonnés aux MMO. Mais où sont-ils tous ? Où ?! Dans mon cul ?! Alors qu’on ne vienne pas me dire que le jeu vidéo est désormais un média reconnu de tous ; ça l’est peut-être pour les moins de 15 ans mais clairement pas pour le reste. J’espère être encore en vie le jour où les jeux vidéo auront assez évolué pour être considéré comme un média aussi reconnu que celui du cinéma.

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